Les sols sont des milieux poreux constitués de particules solides, d'eau et d'air. L'eau y est généralement liquide, sauf dans les sols arctiques où elle est principalement gelée. Cette particularité des sols arctiques découle de leur exposition à l'atmosphère extrêmement froide en hiver, entraînant un refroidissement important du sol et des températures dans le sol inférieures à 0°C. Lorsque le sol est gelé pendant deux années consécutives nous le nommons pergélisol. Ce type de sol se retrouve dans la plupart des régions de l'Arctique. Â l'Île Bylot, une station météorologique près de notre station de recherche principale mesure les profils de température du sol depuis 2000. Les données acquises permettent d'étudier le profil thermique spécifique du sol de la Vallée Qarlikturvik.
Différences de températures du sol en hiver et en été
Durant l’été (août), le profil des températures à la surface du sol est de 7°C, tandis qu'en hiver (février), la température de surface atteint -35°C. Ceci montre les variations de température extrêmes qui se produisent à la surface du sol. Ces grandes variations sont causées par le contact direct de la surface du sol avec l'atmosphère qui subit elle-même des changements de température extrêmes au gré des saisons (voir Climat arctique). Dans les couches plus profondes, l'influence de la température atmosphérique est plus faible et la différence entre les températures estivales et hivernales diminue. Par exemple, les températures mesurées à la station météorologique près de la station de recherche à une profondeur de 8 m ne varient qu'entre -10°C et -12°C. Par conséquent, le dégel du sol se produit seulement près de la surface où le sol est suffisamment réchauffé en été pour que sa température dépasse 0°C. Dans les couches plus profondes, les températures sont constamment inférieures à 0°C et le sol reste gelé tout au long de l'année. La couche de surface qui subit le gel et le dégel au fil des saisons est appelée ‘couche active’. Son épaisseur varie considérablement en fonction de la froideur de l'hiver et de la chaleur de l'air en été. La couche active du sol près de la station de recherche principal à l'Île Bylot a une épaisseur de 8,5 cm.
Une caractéristique intéressante dans les couches plus profondes est que les températures hivernales du sol sont plus chaudes que les températures estivales. Ce patron de températures inversé se produit puisque la chaleur a besoin de temps pour voyager à travers le sol. Les températures estivales relativement plus froides correspondent donc au signal froid de l'hiver précédent qui n'atteint les couches plus profondes que pendant les mois d'été. Inversement, les températures hivernales relativement plus chaudes correspondent à la chaleur de l'été précédent qui traverse encore le sol. Cet effet où la chaleur voyage comme une vague à travers le sol devient plus clair lorsque l'on porte une attention particulière à l'évolution mensuelle des profils de température du sol (voir ci-dessous).
Profils mensuels de la température du sol
En considérant les profils de température pour chaque mois, nous pouvons observer comment le froid des mois d'hiver et la chaleur des mois d'été se transmettent lentement de la surface du sol vers les couches plus profondes. Pendant les trois mois d'hiver, la surface du sol est refroidie par l'atmosphère froide. Les températures de surface du sol dans les profils hivernaux sont donc plus basses et atteignent leur valeur la plus froide en février. Au printemps, l'atmosphère commence à se réchauffer, réchauffant par le fait même la surface du sol. Ainsi, les températures de surface du sol dans les profils de température commencent à augmenter par rapport aux valeurs hivernales. Toutefois, dans les couches plus profondes, la température continue de diminuer dans les profils printaniers, illustrant la progression du signal thermique froid des mois d'hiver précédents. En été, l'atmosphère atteint ses températures les plus chaudes, réchauffant également la surface du sol. Ceci entraîne une température de surface élevée dans les profils. La valeur la plus chaude est obtenue en juillet. En revanche, dans les couches plus profondes, les températures du sol atteignent leur valeur minimale en raison de l'influence refroidissante du signal thermique froid qui progresse dans le sol depuis les mois d'hiver précédents. En automne, l'atmosphère commence à se refroidir à nouveau, diminuant également les températures de surface du sol, tandis que dans les couches plus profondes, les températures commencent à augmenter à mesure que la chaleur estivale se déplace dans le sol. De retour en hiver, la chaleur estivale a réchauffé les couches plus profondes qui atteignent maintenant leur valeur maximale. La lente progression de la chaleur estivale et du froid hivernal se traduit donc par des profils de température du sol opposés: les profils estivaux ont la surface la plus chaude et les températures des couches profondes les plus froides, tandis que les profils hivernaux ont la surface la plus froide et les températures des couches profondes les plus chaudes.
Pour chaque saison, les profils mensuels de température du sol sont mis en évidence en couleur, tandis que les profils des trois saisons restantes sont affichés en gris. Les données proviennent de Allard et al., 2020 (doi: 10.5885/45291SL-34F28A9491014AFD). |
La température de surface du sol en automne
En automne, la plupart des températures du sol arctique mesurées à la surface présentent un plateau, car la température du sol reste constante à 0°C sur une période de temps prolongée. Ce plateau est appelé ‘période zéro’ (ou ‘zero curtain effect’ en anglais). L'observation de cet effet est surprenante, car en même temps que les températures du sol affichent la période zéro, les températures de l'air continuent de chuter considérablement sous 0°C (voir Climat arctique). On s'attendrait donc à ce que les températures du sol diminuent simultanément avec les températures de l'air. La période zéro est créé par l'eau dans le sol qui est liquide dans la couche active après l'été, mais qui commence à geler une fois que les températures dans le sol atteignent 0°C en automne. Les températures du sol restent à 0°C jusqu'à ce que le changement de phase de l'eau soit terminé et que toute l'eau du sol soit gelée, créant ainsi la période zéro. La durée de la période zéro dépend de la teneur en eau des sols à la fin de l'été. Une plus grande quantité d'eau provoque une période zéro plus longue. La période zéro est une caractéristique clé pour la flore et la faune de l'Arctique, car il maintient le sol relativement chaud en automne lorsque l'air est déjà très froid. Il est tout aussi crucial pour l'évolution du manteau neigeux et les propriétés physiques de la neige (i.e. la taille des grains et la densité de la neige) qui, à leur tour, sont importants pour la survie de la flore et de la faune arctiques en hiver.
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