Le renard arctique est le principal prédateur de l’Île Bylot et ses proies favorites sont des petits rongeurs, les lemmings. Les renards se nourrissent cependant d’autres espèces comme les œufs et jeunes oies ou autres oiseaux migrateurs, ainsi que les phoques et leurs carcasses trouvées sur la banquise. L’abondance des lemmings fluctue beaucoup d’une année à l’autre, avec des pics tous les 3-5 ans (voir Lemmings), si bien que la reproduction des renards est également très variable. Ceci est aussi vrai pour le renard roux, mais celui-ci est très rare sur l’Île Bylot.
Depuis 1993, les tanières de renards connues sur la plaine sud de Bylot ont été visitées de façon opportuniste pour vérifier la présence de renardeaux. Ce suivi est ensuite devenu systématique en 2003. Nous suivons maintenant plus de 110 tanières réparties sur environ 600 km², entre la Vallée Qarlikturvik et la Pointe Dufour. Ces tanières sont visitées deux fois par été, à la mi-mai et à la fin juin. À chaque période les visites se font en une semaine pour ne pas compter la même portée deux fois si les parents la déplacent d’une tanière à l‘autre. Les tanières où des renardeaux sont vus ou entendus sont classées comme des tanières de reproduction (tanières de maternité ou d’élevage). Pour compléter nos observations, nous installons aussi depuis 2007 des appareils photo automatiques aux tanières occupées. Les données reliées à notre suivi de tanières à l’Île Bylot est disponible sur NordicanaD. Consultez notre manuel technique sur les renards (disponible en anglais seulement) pour en connaitre davantage sur nos protocoles de terrain.
Les renards de Bylot peuvent partir au loin en hiver
Depuis une dizaine d’années, nous utilisons des techniques très avancées pour suivre les mouvements des renards. Par exemple, nous posons sur les renards des petits colliers appelés colliers Argos, qui communiquent avec des satellites et nous permettent de connaitre la position des renards chaque jour durant tout l’hiver. Cela nous a conduits à des découvertes surprenantes. Nous avons ainsi trouvé que les renards de Bylot peuvent voyager en hiver à travers tout le Nunavut, et même se rendre au Groenland, au Québec ou au Yukon. Certains d’entre eux reviennent à leur tanière l’année suivante, mais la plupart ne reviennent jamais, comme s’ils avaient été chassés de leur territoire par un renard plus fort.
Les renards voyagent sur les terres et sur la banquise. Ils font régulièrement 90 km par jour, voire plus, ce qui est remarquable pour un aussi petit animal. La carte ci-contre montre certains de ces déplacements. En général les renards nés en été quittent le territoire familial dès l’automne. Les adultes, cependant, tendent à conserver leur territoire d’une année à l’autre et voyagent rarement loin. Mais ils explorent tout de même la banquise autour de Bylot, à la recherche de nourriture comme des jeunes phoques ou des carcasses de mammifères marins. Nous avons ainsi découvert que parfois, un grand nombre de renards (10, 15 ou même plus) explorent sur la banquise le même lieu au même moment. Nous appelons ces lieux des 'hots spots' et pensons que les renards détectent de très loin qu’il y a de la nourriture disponible à ces endroits. Ils restent à un hot spot donné pendant quelques jours, puis reviennent à leur territoire.
Les chasseurs inuits ont observé un bon nombre de ces comportements, et il est intéressant de voir que les technologies modernes complètent leurs savoirs traditionnels. Par exemple, les chasseurs voyagent sur la banquise en hiver et voient des comportements que les scientifiques n’ont presque jamais l’occasion d’observer. Inversement, les colliers satellitaires permettent de suivre le même renard chaque jour durant tout un hiver, ce qui impossible pour un chasseur. Les échanges de connaissances entre chasseurs et scientifiques sont ainsi utiles pour mieux connaitre la faune (voir aussi Savoir Inuit).
Les renards font une utilisation très intense de la toundra en été
Depuis 2018, nous utilisons des colliers satellitaires encore plus sophistiqués que ceux mentionnés plus haut. Ces nouveaux colliers sont tout aussi petits mais ils contiennent en plus des mini-panneaux solaires qui rechargent leurs batteries. Ils contiennent aussi un GPS qui enregistre les mouvements des renards à des fréquences élevées, par exemple toutes les 30 secondes. Ceci nous permet de cartographier les territoires des renards avec une grande précision. La carte ci-contre montre les localisations de 13 renards répartis sur 7 territoires. Chaque point est une localisation de renard et chaque renard a une couleur qui lui est propre. Les territoires sont clairement visibles. Par exemple, le territoire du nord-ouest est occupé par un mâle (points orange foncé) et une femelle (points orange pâle). Les renards essaient de ne jamais passer sur le territoire d’un voisin, bien qu’il y ait des exceptions. Des territoires voisins ont souvent une taille similaire, sauf exception ici encore. Notez par exemple le tout petit territoire occupé par les renards en gris foncé et en gris pâle. Ces renards semblent complètement coincés entre d’autres individus ayant de plus grands territoires.
Une découverte sensationnelle issue de cette recherche est que la distance moyenne parcourue quotidiennement par un renard dans son territoire est d’environ 70 km, avec des records de 85 km par jour. Cela correspond à deux marathons. Pouvez-vous imaginer courir un marathon chaque jour, et même deux marathons certains jours? Cette découverte a toutes sortes d’implications pour notre compréhension du fonctionnement de l’écosystème de la toundra. Par exemple, nous comprenons à quel point cela doit être difficile pour un oiseau nicheur de passer inaperçu. Nous allons explorer en détails ces relations prédateurs-proies au cours des années qui viennent.
Des observations surprenantes
Puisque nous utilisons des appareils photo automatiques pour observer les renards à leurs tanières sans les déranger, nous voyons parfois des facettes du monde naturel que peu de personnes ont la chance d’observer. Par exemple, la série de photos ci-dessous montre un ours polaire tentant de capturer un renard arctique sur sa tanière. Sur la première photo (A), le renard est en alerte et a perçu un danger. Si on suit bien son regard, on devine le sommet de la tête d’un ours polaire. L’ours semble se cacher mais pas de chance, le renard l’a détecté. Sur la photo (B) l’ours surgit de sa cachette pour poursuivre le renard. Le renard court aussitôt vers sa tanière. Les photos (C) et (D) montrent l’ours en train d’explorer l’entrée de la tanière où le renard est maintenant en sécurité. Cette série de photos démontre bien que les ours peuvent chasser les renards dans la toundra, et qu’une tanière peut sauver la vie d’un renard. Nous avons accumulé des millions de photos de ce type, ce qui constitue une archive extraordinaire pour mieux comprendre le comportement animal dans la toundra arctique.
Grande oie des neiges | Lemmings |