La grande oie des neiges est un oiseau migrateur qui niche principalement dans l’Est du Haut-Arctique canadien, du Nord de l’Île de Baffin au Nord de l’Île Ellesmere. Quelques oiseaux nichent également dans l’Ouest du Groenland. Les oies nichent dans l’Arctique durant l’été car la toundra leur offre des bonnes conditions pour se reproduire et élevé leurs jeunes. Pour le reste de l’année, les oies migrent vers le Sud afin d’éviter le rude hiver Arctique. Durant la migration, la grande oie des neiges suit relativement toujours la même route. Chaque année, elles quittent l’Arctique à la fin du mois d’août et migrent vers le sud, volant au-dessus du Québec méridional où elles s’arrêtent de 6 à 8 semaines pour rétablir leurs réserves corporelles dans les champs agricoles et les marais. Puis, elles entreprennent un vol de 900 km vers le sud pour se rendre dans leurs aires d’hivernage, sur la côte Est des États-Unis, du New Jersey à la Caroline du Nord. Au printemps, les oies quittent les aires d’hivernage, passent une fois de plus de 6 à 8 semaines dans le Sud du Québec avant de partir vers leurs aires de reproduction dans le Haut-Arctique (3 000 km au nord du fleuve Saint-Laurent). Les oies quittent les haltes migratoires entre le 15 et le 25 mai pour arriver sur les aires de reproduction entre la fin mai et le début juin.
Taille de la population
Depuis 1965, le Service canadien de la faune effectue annuellement un recensement photographique aérien de la grande oie des neiges afin d’estimer la taille de la population durant leur migration printanière. Ce recensement a lieu à la fin avril ou au début mai (selon la météo) quand toute la population est présente dans le Sud du Québec. Cinq avions sont utilisés simultanément afin de couvrir, en une même journée, un large territoire qui s’étend du Lac Champlain (QC) au Sud au Lac Saint-Jean (QC) au Nord et de l’Est de l’Ontario jusqu’à la Baie-des-Chaleurs à l’Est. Tous les groupes d’oies rencontrés sont photographiés et utilisés pour estimer la taille de la population.
Secteurs suivis pendant le recensement printanier de la grande oie des neiges. |
Comme pour plusieurs autres espèces d’oies, la population de la grande oie des neiges a vu sa taille de population augmenter dramatiquement depuis les années 60. L’un des principaux facteurs responsables de cette explosion est l’utilisation accrue des terres agricoles par les oies. En effet, ces terres leur procurent une ressource de nourriture illimitée pendant l’hiver (côte Est des États-Unis) et sur leurs haltes migratoires (dans le Sud du Québec). Cette forte augmentation de la population de grandes oies des neiges impose un stress énorme sur les habitats arctiques où elles se reproduisent. Afin de stabiliser la croissance de cette population d’oies, des mesures de gestion ont été élaborées pour les saisons de chasse du printemps, de l’automne et de l’hiver en 1999 au Canada et en 2009 aux États-Unis. Le but principal de ces mesures était de stabiliser le niveau de la population sous le million d’individus. Le Service canadien de la faune et le Conseil de la voie migratoire de l’Atlantique ont fixé un objectif de population entre 500 000 et 750 000 oies, ce qui permet de maintenir une population en santé et réduire les risques d’atteinte à l’intégrité écologique des habitats et de la biodiversité. Jusqu’à présent, les mesures ont réussi à stabiliser la taille de la population.
Écologie de la reproduction
La plus grosse colonie nicheuse de grandes oies des neiges du Haut-Arctique canadien se trouve sur l’Île Bylot. C’est donc l’endroit idéal pour effectuer des études sur l’écologie de reproduction de l’espèce ainsi que sur son impact sur les différents habitats arctiques. Dès leur arrivée, les oies se regroupent dans des secteurs où la végétation est disponible, c’est-à-dire dans les endroits où la neige fond rapidement, soit la face sud des montagnes et le long des ruisseaux. À mesure que la fonte de la neige progresse, les oies se déplacent dans les basses-terres, leurs milieux préférés pour la nidification.
La distribution de l’oie des neiges sur Bylot, varie au courant de l’été. Pendant la période de nidification, de juin au début juillet, les oies sont concentrées dans une région de 20 km² à quelques kilomètres au nord de Pointe Dufour, près de la côte. Dans cette colonie, la densité de nids est élevée et on y retrouve en moyenne près de 490 nids par kilomètre carré (intervalle : 42 à 1053 nids/km²). Les années où l’effort de reproduction est élevé (i.e. nombre élevé d’oies qui se reproduisent), la colonie principale s’agrandie et d’autres aires de nidification à densité moins élevée sont également utilisées, ailleurs sur l’île.
Le nombre d’oies observées sur l’île au courant de l’été, dépend des conditions climatiques du printemps et du succès de reproduction. Les oies ne peuvent pas construire leur nid tant et aussi longtemps que les sites de nidification sont recouverts de neige. La date de ponte moyenne de l’oie des neiges à l’Île Bylot est le 12 juin (intervalle : 6 au 20 juin). Les variations inter-annuelles de la date de ponte sont fortement reliées aux conditions climatiques printanières. En effet, la date de ponte est hâtive lorsque la fonte de la neige est rapide. En revanche, elle est tardive quand la neige fond moins rapidement.
Lorsque la fonte de la neige est retardée, plusieurs oies évitent de nicher puisqu’elles risquent de ne pas avoir suffisamment de temps pour compléter leur reproduction avant l’arrivée du gel à l’automne. La période d’incubation est d’une longueur fixe chez les oiseaux. Pour la grande oie des neiges, l’éclosion survient toujours de 23 à 24 jours après que la femelle ait pondu le dernier œuf. Pour chaque nid, l’éclosion est synchronisée entre les œufs et ces derniers éclosent généralement à l’intérieur d’une période de 24 heures. Ainsi, les dates d’éclosion suivent les mêmes tendances que les dates de ponte. Si la femelle pond ses œufs tôt, ces derniers vont également éclore tôt en saison. La date moyenne d’éclosion sur l’Île Bylot est le 9 juillet (intervalle : 3 au 15 juillet).
La taille de ponte influence la longueur de la période de ponte car l’intervalle de temps entre chaque œuf est d’environ 34 heures. La taille de ponte montre une forte relation négative avec la date de ponte: elle est grande quand les oies pondent tôt mais petite quand la ponte a lieu plus tard dans l’été. Une faible condition physique des femelles, causée par un manque de temps consacré à l’alimentation, de même qu’un été trop court pour élever les couvées peut expliquer pourquoi les tailles de ponte sont plus petites lors des années tardives. La taille moyenne de ponte de la grande oie des neiges à l’Île Bylot est 3.7 œufs par nid (intervalle : 3.1 à 4.4 œufs/nid).
La prédation est la cause principale d’échecs de nidification de la grande oie des neiges à l’Île Bylot. En ordre décroissant d’importance, leurs principaux prédateurs sur l’île sont le renard arctique, le labbe parasite, le goéland bourgmestre et le grand corbeau. En moyenne, le succès de nidification est de 66% mais ce paramètre varie considérablement d’une année à l’autre (intervalle : 14 à 90%). Les conditions environnementales et, surtout, la densité de prédateurs, déterminent le succès de nidification. Ce dernier est également faible lorsque l’effort de reproduction est réduit due à une fonte de neige tardive. Le succès de nidification tend aussi à montrer des variations périodiques dues aux fluctuations cycliques de l’abondance des lemmings (voir Lemmings). En effet, lorsque les lemmings sont peu nombreux, les prédateurs tels les renards et les labbes volent plusieurs œufs d’oies, ce qui résulte en un succès de reproduction faible. Cet effet est d’ailleurs plus important dans les régions où la densité des nids d’oies est faible, comme les régions plus éloignées de la colonie principale.
De plus, parmi les oies qui ont niché, celles ayant perdu tous leurs œufs à la prédation ne nicheront pas à nouveau au cours du même été. Plus de 90% des oies qui sont incapables de se reproduire, ou qui ont échoué durant la reproduction, quittent l’Île Bylot au début de l’été pour d’autres régions arctiques. Cette courte migration estivale s’explique par le fait que comme chez plusieurs espèces de sauvagine, les oies muent (perdent et remplacent) toutes leurs plumes de vol simultanément à chaque été, ce qui les rend incapables de voler et donc très vulnérables aux prédateurs. Ainsi, les individus non-reproducteurs ou ceux qui ont échoué la reproduction, quittent l’île pour des aires de mue leur procurant une meilleure protection contre les prédateurs, contrairement aux oies parentales qui restent avec leurs jeunes et muent à l’Île Bylot.
Après l’éclosion, plusieurs familles quittent la colonie et se dispersent un peu partout sur l’île, préférant les régions où la densité de milieux humides est plus élevée. Ces sites offrent, en grande quantité, les plantes préférées par les jeunes oies ainsi que plusieurs étangs servant de refuge pour les familles, en cas d’attaques par des prédateurs. Les familles peuvent voyager plus de 50 kilomètres en quelques jours pour atteindre une région adéquate pour l’élevage des jeunes. Vers la fin de l’été, plusieurs familles se déplacent vers les milieux mésiques et parfois même sur des collines, en haute altitude. Ces mouvements sont expliqués par la combinaison du manque de nourriture dans les milieux humides et par l’abondance de fruits dans les milieux mésiques à ce moment de l’été. À cette période, l’activité de suivi la plus importante est la capture et le baguage d’un grand nombre de familles. Le marquage d’individus est très important pour étudier la survie et les mouvements des oiseaux de grande longévité comme les oies. La prise de mesures morphométriques et du poids des jeunes oies capturées fournissent également de l’information sur leur croissance pendant l’été. Pour en apprendre davantage sur notre programme de marquage, visitez notre site internet sur nos Études démographiques de la grande oie des neiges.
Les données reliées à notre suivi de nidification des oies à l’Île Bylot sont disponibles sur NordicanaD.
Densité et distribution des familles sur l’Île Bylot
Le nombre d’oies nichant sur l’Île Bylot varie énormément d’une année à l’autre. Les années où le succès de reproduction est élevé, plus de 70 000 adultes peuvent y être observés pendant l’été. Cependant, lors les années à faible succès reproducteur, on peut y voir aussi peu que 2 000 adultes. Afin de suivre le nombre et la distribution d’oies des neiges sur l’Île Bylot, le Service canadien de la faune a été effectué, pendant la période d’élevage des oisons, des recensements aériens à tous les 5 ans entre 1983 et 2008. En plus de fournir le nombre et la distribution des oies sur l’île, ces recensements ont également permis de connaître l’âge (adulte ou jeune), le statut reproducteur (reproducteur ou non-reproducteur) et le type d’habitat utilisé par les oies.
Ainsi, lorsque la population d’oies des neiges augmente, sa distribution sur l’Île Bylot change également. Quand le nombre de reproducteurs est faible (ex. 1983 et 1988), la distribution des familles est caractérisée par quelques régions de hautes et moyennes densités de familles, alors qu’une grande partie de la plaine Sud de l’île supporte une faible densité de familles. Avec une augmentation du nombre de familles (1993 et 1998), les régions de hautes et moyennes densités s’agrandissent considérablement, laissant uniquement une petite région ayant une faible densité de familles.
Renard arctique |