Labbe à longue queue

Pair of long-tailed jaeger - Yannick Seyer

Le labbe à longue queue est le plus petit des labbes nicheurs de l’Amérique du Nord. Avec sa distribution circumpolaire, il s’agit de l’espèce de labbe la plus abondante et la plus répandue. On le retrouve particulièrement dans les milieux mésiques de la toundra arctique. Cet oiseau présente très peu de dimorphisme sexuel. Bien que les femelles soient généralement de plus grande taille que les mâles (masse moyenne d’environ 315 g chez les femelles et 285 g chez les mâles nichant à l’Île Bylot), le chevauchement entre la taille des mâles et des femelles à l’intérieur de la population rend leur distinction très difficile à l’œil nu. Toutefois, nos travaux ont démontré que la distinction entre les deux sexes était possible à l’intérieur d’un couple étant donné que le mâle est presque toujours plus petit que la femelle.

Le labbe à longue queue est un oiseau marin, il passe donc la majeure partie de sa vie en mer. Cependant, à l’approche de la saison estivale, son mode de vie change drastiquement pour devenir exclusivement terrestre. Il ne retourne pratiquement jamais en mer pendant sa reproduction. Ainsi, les oiseaux nicheurs délaissent un régime alimentaire hivernal axé sur des petits poissons et des invertébrés marins de surface pour une alimentation exclusivement terrestre. Sur l’Île Bylot, les lemmings bruns et variables sont les proies principales du labbe. Toutefois, lorsque l’abondance des lemmings est plus faible, il peut également s’alimenter d’arthropodes, de passereaux et de limicoles (majoritairement les jeunes). Comme pour la plupart des prédateurs aviaires, le labbe à longue queue avale ses proies en entier mais rejette les parties non digestibles (os, poil, griffes, plumes, etc) dans des boulettes de régurgitation qui peuvent ensuite être analysées afin de déterminer son régime alimentaire. À l’Île Bylot, plus de 95% des boulettes de régurgitation récoltées sur le site de reproduction des labbes contiennent des parties de lemmings et 53% contiennent des fragments d’arthropodes. Le lemming brun domine avec 60% des lemmings identifiés contrairement à 40% pour le lemming variable.

Brown lemming - Dominique Fauteux Long-tailed jaeger pellet - Marie-Christine Cadieux Collared lemming - Jeanne Clermont
Lemming brun Boulette de labbe à longue queue Lemming variable

Écologie de la reproduction

Quelques jours avant le début de la ponte, les labbes à longue queue arrivent sur l’Île Bylot et retournent sur le territoire qu’ils occupaient l’année précédente. La fidélité au site de reproduction de ces oiseaux est phénoménale avec certains couples nichant à quelques mètres à peine de leur ancien nid. Chez le labbe à longue queue, les mâles et les femelles n’effectuent pas la migration ensemble. Malgré tout, les partenaires se retrouvent à nouveau à chaque été sur leur site de reproduction. Chez cette espèce, les couples sont généralement formés des mêmes partenaires pendant de nombreuses années.

À leur arrivée, les labbes parcourent leur territoire à la recherche de la proie tant convoitée, les lemmings. Leur nidification est très influencée par l’abondance de ces proies, allant même jusqu’à ne pas nicher lorsque les populations de lemmings sont trop faibles. Après quelques jours à défendre leur territoire, si le couple décide de ne pas nicher, les oiseaux retournent alors en mer.

Long-tailed jaeger nest - Yannick Seyer

Le nid du labbe à longue queue est très rudimentaire et ne se résume qu’à une faible dépression au sol. Aucun matériel n’est ajouté pour y fabriquer une coupole le rendant très cryptique. Il est généralement situé sur un promontoire où les oiseaux peuvent garder un œil sur leur territoire et prévenir l’approche de prédateurs aviaires et terrestres, la principale menace étant le renard arctique. La zone défendue par le couple de labbes s’étend sur environ 1 km2 et ce dernier présente d’importants comportements anti-prédateurs. Dès qu’un prédateur entre sur leur territoire de nidification, il est immédiatement attaqué et repoussé à l’extérieur.

Long-tailed jaeger egg and young - Yannick Seyer

Mâle et femelle se relaient dans la garde du territoire, la quête alimentaire et l’incubation des œufs. La femelle pond généralement deux œufs, mais parfois qu’un seul lorsque les conditions ne sont pas optimales. Ces œufs sont verdâtres pour contribuer à maintenir le nid cryptique. Même pour un observateur averti, ces œufs peuvent être très difficiles à repérer dans la vaste toundra arctique. L’incubation dure de 23 à 26 jours et débute dès la ponte du premier œuf, occasionnant un délai d’un à deux jours entre l’éclosion des deux jeunes. À l’Île Bylot, les œufs sont généralement pondus entre les 12 et 21 juin. Les jeunes verront le jour pendant les deux premières semaines de juillet. Les jeunes labbes sont considérés comme ‘nidifuges’, i.e. qu’ils peuvent quitter le nid et se déplacer à peine 24 à 48 heures après leur éclosion. Ils s’éloignent de plus en plus chaque jour pour parfois atteindre des distances de plusieurs centaines de mètres après deux à trois semaines. Le déplacement continuel des jeunes leur permet de s’alimenter d’arthropodes qu’ils chassent eux-mêmes. Le reste de leur alimentation est procurée par leurs parents qui leur apportent des proies plus volumineuses comme des lemmings. Après environ trois semaines, les jeunes, encore dépendants de leurs parents, commencent à voler. Les parents vont les défendre et les nourrir jusqu’à la fin août, moment où les jeunes entreprendront leur première migration vers les aires d’hivernage.

Le labbe à longue queue est un grand voyageur

Long-tailed jaeger with geolocator - Yannick Seyer
Labbe à longue queue portant un géolocalisateur sur une bague de plastique sur sa patte droite.

Afin de mieux comprendre la migration des labbes, un important déploiement de géolocalisateurs a eu lieu entre 2014 et 2019 à l’Île Bylot. Ces appareils de petite taille (<1 g, 14 x 8 mm) sont fixés à la patte des oiseaux et enregistrent des données tout au long de l’année. Ils nous ont permet d’acquérir une grande quantité d’information sur la phénologie, la route migratoire et la destination hivernale de ces oiseaux marins, jusqu’alors peu connus.

Les données recueillies sur les individus marqués d’un géolocalisateur montrent que les adultes quittent le site de reproduction à partir de la fin août et entament un premier segment migratoire de plus de 3 000 km. En longeant la rive nord des Terres de Baffin, les labbes atteignent l’Atlantique Nord pour faire une première halte migratoire dans la vaste région des Grands Bancs de Terre-Neuve. Cette zone riche en nourriture leur permet de s’alimenter pendant plusieurs semaines. Vers le mois d’octobre, ils entreprennent le second segment de leur migration vers des latitudes australes, où ils passeront quelques mois. Cette portion de leur migration représente un déplacement additionnel de 4 000 à 12 000 km. Pendant l’hiver, les labbes se répartissent au large de la côte ouest africaine entre le Cap-Vert et le sud-est de l’Afrique du Sud. Quatre zones d’hivernage principales ont été identifiées pour la population de labbes à longue queue de l’est de l’Arctique canadien, à savoir la région du Cap-Vert, le Golfe de Guinée, la région d’upwelling du Benguela au large de la Namibie, de l’Angola et de l’ouest de l’Afrique du Sud, et finalement, l’est de l’Afrique du Sud. Les labbes profitent de ces zones très riches en nourriture pendant l’hiver avant d’entreprendre la migration de retour vers leur site de reproduction. À partir du mois de mars, les oiseaux reprennent leur migration vers le nord pour regagner l’Arctique. Le périple dure quelques semaines en fonction de l’endroit où les individus ont passé l’hiver.

Harfang des neiges Buse pattue