Le Harfang des neiges est un prédateur que l’on retrouve périodiquement sur l’Île Bylot. Ce grand rapace nordique niche dans la toundra arctique circumpolaire. Bien que le harfang puisse résister aux longs et rigoureux hivers arctiques, jusqu’à tout récemment nous croyions qu’il passait l’hiver dans des régions plus méridionales telles le sud du Canada, le nord des États-Unis et le centre de l’Eurasie où on retrouve des prairies inhabitées, des marais et des champs ouverts pour s’alimenter de petits mammifères. Cependant, nos recherches montrent que plusieurs harfangs nichant dans l’est de l’Arctique canadien peuvent et restent dans l'Arctique tout au long de l'hiver. Pour y parvenir, ils dépendent des environnements marins et côtiers pour trouver leur nourriture. Entre 2007 et 2016, nous avons capturé plusieurs femelles harfangs des neiges adultes sur l’Île Bylot et à Mary River (Nunavut), ainsi qu’à Baie Déception (Nunavik). Ces oiseaux ont été équipés d’émetteurs satellites pour suivre leurs mouvements migratoires en temps réel pendant 3 ans. Cette étude a révélé que les femelles restaient plusieurs semaines (jusqu’à 101 jours) sur ou à proximité de la glace de mer de décembre et avril. La majorité des localisations satellites récoltées se trouvaient à proximité de polynies, soit des zones libres de glace au milieu de la banquise. Ces endroits regroupent souvent un grand nombre d’eiders pendant l’hiver. Étant donné que les polynies constituent des sites hivernaux récurrents pour ces canards marins, elles procurent également de potentielles proies hivernales plutôt prévisibles pour les harfangs à de hautes latitudes. Ceci leur permet de raccourcir la distance de migration vers les sites de reproduction comparativement aux harfangs hivernant dans des régions plus tempérées. La plupart des harfangs des neiges ont également montré une grande fidélité interannuelle au type d’environnement d’hivernage (marin vs terrestre) et à la zone latitudinale (arctique vs tempérée) qu’ils exploitent. En moyenne, leur dispersion hivernale entre deux années consécutives est de 389 km (étendue : 20 à 2 731 km), ce qui est plus court que leur dispersion entre deux sites de reproduction consécutifs (voir Écologie de la reproduction ci-dessus). Bien que les ‘irruptions hivernales’ de harfangs des neiges en régions tempérées de l’Amérique du Nord (sud du Canada et nord des États-Unis) soient majoritairement constituées de jeunes de l’année et d’immatures suite à une bonne année de reproduction dans le nord, les adultes migrent également dans ces zones et peuvent même alterner la zone latitudinale d’hivernage qu’ils exploitent entre deux hivers consécutifs.
‘Hot spots’ hivernaux de harfangs des neiges adultes. Les sites de capture sont l’Île Bylot (étoile), Mary River (losange) et Baie Déception (carré). Données de Robillard et al. 2018, DOI 10.1111/jav.01707. | Dispersion hivernale de harfangs des neiges adultes. Chaque couleur représente un individu différent. Données de Robillard et al. 2018, DOI 10.1111/jav.01707. | Dispersion de reproduction de harfangs des neiges adultes. Les sites de capture sont l’Île Bylot (étoile), Mary River (losange) et Baie Déception (carré). Chaque couleur représente un individu différent. Données de Robillard et al. 2018, DOI 10.1111/jav.01707. |
Écologie de la reproduction
Malgré qu’il soit connu comme un migrateur partiel, les mouvements migratoires nomades et éruptifs des harfangs sont liés aux fluctuations de l'abondance de leurs proies principales pendant la saison de reproduction, les lemmings. Sur l’Île Bylot, les lemmings bruns et variables composent environ 96% de leur régime alimentaire, auxquels s’ajoutent quelques jeunes oies des neiges et, en plus faibles proportions, des plectrophanes, des oiseaux de rivage, des hermines et des renardeaux. Ainsi, le harfang n’est pas fidèle à un site de reproduction particulier. Sa décision de nicher est entièrement basée sur l’abondance de lemmings nécessaire à nourrir leurs jeunes. Il a été démontré que les femelles étudiées à l’aide d’émetteurs satellites ont niché en moyenne à 710 km (étendue : 85 à 1 617 km) de leur site de reproduction de l’année précédente.
Nous suivons la reproduction du harfang des neiges sur l’Île Bylot depuis 1993. Généralement, les harfangs y nichent lors des années de forte abondance de lemmings. Durant ces étés, jusqu’à 98 nids ont été trouvés sur l’aire d’étude, mais seulement ceux localisés dans la Vallée Qarlikturvik sont suivis plus étroitement. Lors des années de faible abondance de lemmings, les harfangs sont absents de l’île. À l’occasion, quelques individus sont observés très tôt au printemps, après quoi ils quittent pour aller se reproduire dans une région où l’abondance de lemmings est plus élevée.
Les harfangs établissent généralement leur nid sur une crête, un petit monticule, une pente douce ou le long d’une coulée ou d’un ravin dans la toundra mésique. Ces zones sont souvent les premières à se libérer de neige au printemps, permettant aux harfangs de débuter la reproduction très tôt en saison. La date de ponte moyenne (date où le premier œuf est pondu) sur l’Île Bylot est le 21 mai (intervalle : 13 au 29 mai). Les femelles pondent de 3 à 11 œufs (moyenne: 7 œufs/nid) dans une légère dépression grattée à même le sol. Puisque les femelles pondent leurs œufs à un intervalle d’environ 2 jours et qu’elles commencent l’incubation dès la ponte du premier œuf, les œufs n’éclosent pas tous en même temps. La date d’éclosion moyenne (date où le premier œuf éclos) est le 21 juin (intervalle : 14 au 30 juin). Dès l’âge de 2 à 3 semaines, les jeunes harfangs quittent graduellement le nid en commençant par le plus vieux.
Bien que les paramètres de la reproduction tels que la date de ponte et la taille de ponte (nombre total d’œufs pondus) varient d’une année à l’autre, nos analyses montrent qu’ils ne sont pas influencés par le début du printemps (i.e. la fonte de la neige) ou l’abondance de lemmings. En fait, il semble que lorsqu’un couple de harfangs s’installe pour nicher, son succès de reproduction est habituellement très élevé. L’absence de nids de harfangs sur l’île alors que l’abondance de lemmings était très élevée certaines années (ex. 2011 et 2015) suggère que durant la période pré-reproduction (mars à mai), lorsque les harfangs prospectent la toundra à la recherche d’un potentiel site de nidification, ils pourraient s’établir à la première place ayant une forte abondance de lemmings. Durant ces années, l’abondance de lemmings sur l’Île Bylot était probablement comparable à celle d’une grande partie de l’Arctique, permettant aux harfangs de débuter leur nidification plus hâtivement à des latitudes plus basses. Ainsi, ils ont pu économiser de l’énergie pour la reproduction plutôt que l’investir pour migrer dans une région plus nordique présentant une abondance de lemmings équivalente.
La base de données complète de notre suivi sur le harfang des neiges sur l’Île Bylot est disponible sur Nordicana D.
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